J'ai lancé il y a quelques mois, à plusieurs éditeurs, la proposition de réaliser un ouvrage regroupant les aphorismes de Jean-Edern Hallier disséminés çà et là dans son œuvre romanesque et pamphlétaire. De quoi rendre justice à ces fulgurances oubliées et de leur permettre de trouver post mortem la place qu'elles méritent : entre les classiques mots d'esprit d'Oscar Wilde, Cioran et Baudelaire.
Je suis convaincu qu'un tel projet aurait enthousiasmé Jean-Edern Hallier. D'ailleurs, une maison d'édition a accepté ce projet : celle de Franck Spengler (fils de Régine Deforges), le sulfureux éditeur - qui d'autre pour rééditer du Jean-Edern Hallier ? - de Alain Soral et notamment de son livre Dialogues désaccordés réalisé avec Eric Naulleau. La seule condition de Franck Spengler : avoir l'autorisation des héritiers de Jean-Edern Hallier. Et c'est là que tout se gâte (contrairement à ce que je pensais d'ailleurs, puisque pour moi le plus dur était fait). Après moult tentatives de joindre et d'obtenir une réponse de ces gens-là, je reçois un message laconique de Laurent Hallier, frère de Jean-Edern, m'annonçant que l'éditeur allait m'informer de leur décision.
En effet, le lendemain, je reçois un message évasif de Franck Spengler, dans lequel il m'annonce qu'après avoir discuté avec le fils de Jean-Edern Hallier, il ne donne finalement pas suite au projet, sans autre explication (mais avec un non-dit perceptible dans le ton). J'imagine donc que cela s'est mal passé avec le fils en question : Frédéric Hallier, né en 1981.
Malheureusement, parfois, les grands hommes n'ont pas les héritiers qu'ils méritent. Et ici, c'est peu de le dire. Tout le monde n'a pas la chance d'un Léo Ferré, dont le fils consacre désormais sa vie à rendre hommage à l’œuvre paternelle de la plus belle des façons et de pérenniser le catalogue du père à travers des rééditions majestueuses, des livres sous forme de beaux objets, etc. Léo Ferré doit être fier de lui, et reconnaissant, de là où il est. Du côté d'Edern Hallier, c'est plus probablement : "Tu quoque mi fili".
En même temps, comment s'étonner, quand on découvre aujourd'hui que Frédéric Hallier vient de relancer le journal de son père, le mythique L'Idiot International, pour en faire un torchon grotesque à mille lieues de l'esprit de l'original. Son psy a dû lui dire de "tuer le père" mais il n'a pas compris la dimension freudienne du message : il l'a pris au premier degré. Hallier (le vrai, le seul, l'unique) doit se retourner dans sa tombe. L'Idiot International historique était porté par une figure charismatique, reconnue, singulière, qui savait s'entourer, et dont l’œuvre littéraire explosive faisait œuvre de salubrité publique. Avec la nouvelle version, nous avons un moucheron qui veut se faire calife à la place du père. Le déshonneur intégral.
Entre-temps, j'ai lu le livre La fille naturelle - Pour Jean-Edern Hallier, mon père de Béatrice Szapiro, fille artificielle de l'écrivain : une daube sans nom, au "style" égocentrique, suffisant (voire débile), juste digne de la rubrique psy de n'importe quel titre de la presse féminine.
Je comprends mieux maintenant pourquoi les héritiers de Jean-Edern Hallier ont fait barrage au livre qui ferait de leur père un classique, un immortel... enfin, ce qu'il a toujours voulu être.
Voici pour finir sur une bonne note quelques aphorismes rafraîchissants signés Jean-Edern Hallier :
- Le supplice du censeur, c'est de haïr en silence.
- Puisqu'ils se copient les uns les autres, comme aux examens, on devrait interdire aux journalistes de lire les journaux.
- Le système accepte qu'on l'accuse, jamais qu'on l'explique.
- La vérité est révolutionnaire, n'en déplaise à ceux qui l'aiment si jalousement qu'ils préfèrent la voir sous clef.
-
Moi je ne vois pas en quoi l'homme frivole que je suis a manqué un seul
instant, dans sa vie, au sérieux véritable des choses. C'est en cela
que je reste parfaitement incompris - même de mes plus proches amis.
- Pour la plupart, le sérieux, c'est l'air sérieux.
- On ne peut rien contre la tranquille détermination d'un paresseux.
- Mes pages sur le Sahara sont écrites. Il ne me reste plus qu'à partir là-bas, vérifier mon imaginaire.
- La littérature est la langue dans laquelle je converse avec Dieu.
- La masturbation, la seule drogue qu'on ait toujours sur soi.
- Le génie est coriace. Il écœure ses concurrents à la longue.
-
Alcool et drogue : Comme un vieux baba héroïnomane reprochait à Antoine
Blondin de se cuiter, ce dernier leva solennellement son verre en
déclarant : "On ne trinque pas avec une seringue, monsieur !".
- Je vomis la psychologie comme la peau du lait.
- Toute biographie doit passer par nous-mêmes et être notre propre histoire.
- Tout grand livre est impubliable.
-
Insidieusement, le mot de "culture" s'est mis à masquer non seulement
la vanité culturelle des hommes politiques, mais aussi le terme de
propagande.
- Un écrivain n'a pas de ministre de la culture. Il n'a de comptes à rendre qu'à Dieu.
-
La subvention met au pouvoir un art de toute façon inférieur puisqu'il
sera le choix d'un fonctionnaire, d'un homme politique, ou d'un conseil
municipal. On va demander à un fonctionnaire mégalo de trancher de la
beauté ou de la qualité des Corneille ou des Molière d'aujourd'hui. Ce
n'est pas son métier ; il n'y connaît rien, et pourtant c'est lui qui
décide. Vous me direz qu'autrefois, c'était l’Église qui subventionnait
les artistes. Seulement l’Église s'y connaissait. Toute sa grandeur dans
un premier temps, fut d'être le mécène des artistes.
- Alors le
"tout est dans tout et réciproquement", la confusion des valeurs, c'est
un mystère marchand qui permet d'éliminer la vigilance critique. C'est
une sorte de sidaïsation générale de la pensée sociale, c'est-à-dire la
suppression à terme de toutes les immunologies qui nous permettent de
résister. Le chanteur croira pouvoir devenir un grand philosophe et
parader à la télévision.
- Quand à la publicité, elle veille. Un
mot de trop peut faire perdre des centaines de millions au
poste-périphérique. Il ne s'aventurera pas à les inquiéter et préfèrera,
en dernière minute, causer de l'amélioration des relations
franco-russes.
- ...avec le troupeau politique français qui
marche, compact, avec ses larges bouches semblables à des vulves à
dentures, ses immenses fesses grasses écartées comme les deux sections
d'une pêche mûre, la droite et la gauche. Armée pesante, s'il en est,
armée féroce et lâche. Elle reste prête à tirer dans le dos de celui qui
voudrait défendre, je ne dirais pas autrui, mais sa propre liberté et
sa propre destinée dans le conformisme, la paresse universelle qui
semble s'être abattue sur le pays.
- Oui cette France, je ne
l'aime plus guère : repue, elle ressemble encore à sa bouffe. Un pays
heureux n'a plus d'histoire ; il n'a que des aigreurs d'estomac. Pour
lui épargner ses béatitudes digestives, on lui affadit désormais tous
ses plats.
- La plus sûre manière de paralyser l'individu est de
lui faire croire qu'il peut embrasser l'univers d'un clin d'œil. Son
avancée de limace lui sera garantie par le progrès, le tourisme, et
l'uniformisation, les trois grandes devises de l'état universel en
gestation.
- En clamant d'un livre qu'il est beau, l'alibi est tout trouvé pour ne pas dire : il est vrai.
- L'intellectuel ne lutte plus contre la misère sociale ou culturelle, il l'aggrave.
-
La France est un pays où les débats s'ouvrent quand il est déjà trop
tard, ou presque. Alors provoquer devient nécessaire. En une société
bombardée, abrutie par les médias, la provocation oblige paradoxalement
les gens à penser.
- Malheur aux tièdes. Je n'ai que des partis pris.
-
"Le sérieux n'est qu'une attitude pour cacher les difformités de l'âme"
déclarait jadis le Tristan Shandy, du romancier anglais Sterne.
-
Liberté, quelle est-elle ? Celle du sérieux ? C'est déjà un choix
politique d'où certaines libertés sont exclues. Le sérieux est le plus
redoutable ennemi de la vérité. Quand la vérité sort toute nue du puits,
elle ne trouve qu'un journaliste, le pigeon gris, en caleçon à ramures,
qui lui dit : rhabillez-vous, mademoiselle.
- L'ami de la vérité n'a pas d'amis.
- Les grands peuples se reconnaissent à la qualité de leurs dissidents.
-
Si les journalistes étaient capables de penser par eux-mêmes, ils ne
seraient pas journalistes. L'un des drames de notre époque, c'est celui
de la pensée publique livrée aux automatismes. Même l'ordinateur peut
avoir des microbes, le valet de presse jamais. Sub specie eternitati, il
est aseptisé.
- Il y a un analphabétisme du haut beaucoup plus
insidieux que l'illettrisme qu'on prête au peuple. Quel peuple ?
Aujourd'hui, il n'y a plus que la solitude qui soit peuplée.
- Aux cris d'indignation qu'elle suscite, on mesure l'étendue de la vérité révélée.
- Leur société du spectacle, c'est le spectacle qu'ils se donnent d'eux-mêmes.
- Allons, les mecs, un peu de sérieux - je veux dire une once d'honnêteté intellectuelle.
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