vendredi 7 avril 2023

♫ Interview "Jean-Louis Murat : Coups de tête"



Interview de votre serviteur réalisée par Yann Boulegue, publiée sur le site et les réseaux sociaux de l'éditeur du livre (Carpentier) en février 2015.


- Vous revenez à plusieurs reprises sur le jeu de provocation de JL Murat avec les médias, sur le fait que ce sont les communicants qui ont encouragé JL Murat à lâcher des remarques assassines sur tout et n'importe quoi. Pourtant le caractère difficile de JL Murat est connu et reconnu. Pensez-vous que ses mots ont parfois dépassé sa pensée ou bien que Murat est un authentique misanthrope ?

Certains lui trouvent des excuses, prétextant que, sous le coup de la fatigue après plusieurs heures d’interviews - au cours de journées promos usantes pour les nerfs -, il partirait en roue libre malgré lui. C’est très possible, cela a dû lui arriver, bien sûr, de s’énerver à cause de la fatigue ou dans un mauvais jour (même lui le reconnaît), mais on ne peut pas toujours expliquer ses « débordements » par cette seule raison. Quand il a lâché « Pour la grippe A y a des vaccins, pour Renaud l’euthanasie », c’était dans le cadre d’une interview par mail, avec le recul que procure cet exercice, au tout début de la promotion d’album. Je crois que la réponse à votre question se trouve dans le livre, il l’a dit lui-même : pour un bon mot, il déclencherait une guerre mondiale. Il est sans doute plus grande gueule que misanthrope.


- D'ailleurs, les couvertures presse qui accompagnent la sortie de votre livre sont quasiment toutes axées sur un seul thème, les clashs de Murat. Ce n'est pas un peu frustrant pour vous de voir que c'est la seule chose qu'on met en avant ?

C’est en effet inattendu mais bon, on met au moins une chose en avant. Avec le temps, quand les passions seront retombées, quand l’immédiateté des effets « clash/buzz » incontrôlables due au fonctionnement médiatique actuel sera estompée, d’autres aspects seront mis en avant. Il restera j’espère le principal : l’honnêteté de ma démarche sur un terrain miné. Ce livre n’est pas une commande. Je ne peux écrire que sur les gens dont j’apprécie la musique (Cf. mes chroniques pour Causeur.fr). Les portes sont verrouillées de partout pour quiconque s’essaie à écrire une bio sur Murat. Avant de me claquer la porte au nez, sa manageuse (qui est aussi son ex-compagne) a eu le temps de me confier qu’ils ont toujours décliné les propositions de biographie, même émanant de journalistes proches du chanteur. On comprend mieux pourquoi en lisant « Coups de tête ». Maintenant, les qualités du livre sont là, je suis fier de lui, les personnes qui y ont aimablement participé le cautionnent à 100%, cela suffit à mon bonheur. Je n’ai trahi personne, mes idoles de toujours (William Sheller, CharlElie Couture) m’ont fait confiance, Dominique A a écrit une superbe Préface, j’ai passé une heure inoubliable au téléphone avec Jean-Bernard Hebey - un grand monsieur (il a interviewé John Lennon, ça calme) –, Bertrand Burgalat et Mathieu Ferré ont apporté leur riche contribution, what else ? Le livre existe, envers et contre tout, c’est ce qui importe. Au-delà des polémiques, ceux qui savent lire verront que l’ouvrage est avant tout un hommage à la langue – certes bien pendue – de Jean-Louis Murat.

- On apprend beaucoup de choses sur Murat dans votre livre, qui permettent de mieux comprendre l'homme et son œuvre. On découvre aussi l’étendue de sa production et de ses collaborations. Pourtant, Murat reste un artiste assez confidentiel. Selon vous, quelle devrait ou aurait dû être la place de Murat dans le paysage musical français ?

Je pense qu’il a la place qu’il mérite : il n’est pas un artiste maudit, car reconnu et apprécié pour son art depuis près de trente ans, dans de nombreux cercles. Il a une maison de disques et il draine dans son sillage des fans fidèles. Dans le marché actuel sinistré de la musique, ce n’est déjà pas si mal. Son comportement le dessert sans doute mais cela provoque aussi l’adhésion de gens qui en ont marre du politiquement correct servi à toutes les sauces dans la culture et les médias aujourd’hui. Tous les artistes français de la nouvelle génération sont transparents, sans aspérités. Il n’y a plus de Gainsbourg, de Balavoine, de Léo Ferré… des gens qui resteront. Une personnalité forte suscite l’intérêt du public, friand de ce genre de figure (surtout lorsqu’elle tranche aussi par sa singularité musicale). Murat restera, comme un poète de la fin du monde amoureux. Les extraterrestres qui découvriront ses chansons y verront les dernières traces de la civilisation auvergnate.

- Vous consacrez quasiment 40 pages à regrouper tous les coups de gueule de Murat. Donc, finalement il faut en passer par là pour vendre un livre sur Murat ?

Je ne vois pas les choses comme ça. J’ai toujours aimé les livres d’aphorismes : Cioran, Baudelaire, Jean-Edern Hallier, Oscar Wilde, Kafka, etc. Je ne me lasse pas de lire leurs fulgurances. S’agissant de Murat, cela me paraissait naturel de compiler ses « bons mots », puisqu’ils sont portés par un bagout littéraire et le grand public connaît aussi le chanteur pour son image de provocateur au franc-parler, au caractère bien trempé. On n’écrit pas un livre sur Jean-Louis Murat dans l’idée de faire du buzz sur ses coups de gueule, d’autant plus qu’ils datent tous de plusieurs mois minimum, ce ne sont pas des paroles inédites. Par contre, je ne vous cache pas qu’après avoir eu Jean-Bernard Hebey (son premier producteur) au téléphone pendant une heure pour lui poser mes questions sur le chanteur - ce moment dantesque retranscrit intégralement dans le livre -, je me suis dit : « Waouh, on tient une bombe ! ». Je m’attendais à tout sauf à ça, et quand j’ai fait écouter la conversation à mes proches, ils n’en revenaient pas et ont pensé la même chose : cette interview allait faire du bruit. Et en effet, elle commence à faire du bruit.

- A vous lire, on sent votre intérêt pour l'homme et votre respect pour sa musique. Même si on l'oublie facilement, il suffit d'entendre « Col de la Croix-Morand » pour que le titre se rappelle au bon souvenir de tous. Quel est votre souvenir musical le plus persistant concernant Murat ?

Sur disque, je dirais l’album qui l’a révélé à la fin des années 80 : Cheyenne Autumn. Il me plonge toujours dans l’atmosphère de mes années lycée. Il y avait dans ces chansons une innocence, une forme de pureté, un état de grâce qu’il n’a plus jamais retrouvé ensuite sur toute la longueur d’un album. Et ces paroles : « Je déteste pour toujours les familles / Plus tard je donnerai mes raisons / Aujourd’hui je suis un garçon qui maudit les filles / Et n’en tire que des chansons »…, comment les oublier ?

Sur scène, un souvenir de concert, au Théâtre Sébastopol de Lille - dans le cadre de la tournée de l’album Mockba/Moscou -, j’en parle dans le livre. Un concert génial, comme il n’en fait plus depuis un bon bout de temps. Ce soir-là, il était déchaîné et s’est lâché complètement, notamment contre la maire de la ville, c’était un pur régal musical et verbal. Un moment très rock, au vrai sens du terme : vivant.

- A votre avis, qu'est-ce qui manque à Murat pour passer d'une reconnaissance professionnelle (22 Unes de Libé et des Inrocks) à une reconnaissance populaire ?

Libé et Les Inrocks n’apportent aucune caution professionnelle à personne aujourd’hui, puisque ce sont des organes de presse parisianistes et politiques avant tout. Le fameux « 22 Unes de Libé et des Inrocks » est une formule lancée par Renaud pour dire de Murat que son succès auprès de la critique parisienne ne lui fait vendre que 22 disques. C’est une image, une provocation de rival. La reconnaissance populaire aujourd’hui porte en elle des stigmates malsains. Murat l’a connue cette reconnaissance, de 1987 à 1992 : ses singles (« Si je devais manquer de toi », « L’ange déchu », « Le garçon qui maudit les filles », « Col de la Croix-Morand ») passaient en radio, sur les plus grandes stations (RTL, Europe 1, NRJ, etc.). Ce n’est pas pour rien si Mylène Farmer a enregistré un duo avec lui dans ces années-là. Le filtre bien-pensant des quotas radiophoniques à partir de 1993 et le comportement insultant du chanteur en interview envers ses confrères - à partir de la fin des années 90 - ont fini de le mettre sur la touche, de le reléguer au rang des artistes trop « clivants ». Ses productions moins soignées avec le temps ont fini de pénaliser ses passages en radio. C’est peut-être idiot ce que je vais dire, et Murat lui-même est contre le principe, mais un bon Best of lui permettrait sans doute de renouer avec le grand public – à condition d’y glisser un excellent inédit - et de toucher les nouvelles générations.

- Enfin dernière question, savez-vous comment JL Murat a accueilli votre livre ? Qu’en a-t-il pensé ?

Jean-Louis Murat a accueilli le livre par le silence. Rester confiné dans ce silence, c’est me donner raison, c’est signifier qu’il n’a rien à redire sur les infos et les révélations contenues dans la biographie. Mon travail se base sur des faits et des témoignages inédits provenant de sommités ayant côtoyé l’artiste. C’est aussi sûrement une volonté de sa part de ne pas faire de publicité à la biographie, ce que l’on peut comprendre aisément quand on l’a lue. Quelques excités, gardiens du temple Murat, ont bien essayé de salir, de dénigrer le livre en pointant une supposée « intox » dans le contenu, mais il s’agissait en fait d’une fausse « intox » dont je ne suis pas responsable (Bettina Rheims a publié un communiqué sur son Facebook officiel pour remettre les pendules à l’heure).

J’en profite pour remercier mon éditeur pour sa confiance, son professionnalisme et son enthousiasme. Il a cru en ce projet, m’a suivi, s’est beaucoup impliqué pendant les longs mois d’écriture, et en a fait un superbe livre.

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