"Electric Barbarella" va surtout faire parler
d'elle pour la polémique que va déclencher son sulfureux clip. Tube electro-pop
en puissance, dont les paroles suggestives - limite salaces - évoquent une
relation passionnelle avec une créature faite de latex, d'ultrachrome et
d'acier, "Electric Barbarella"
dévoile un Duran Duran fougueux, juvénile, pétillant et sexy comme à ses
débuts. Mais l'idée de la femme parfaite réduite à une poupée obéissante,
sexuellement peu contrariante et surtout dépourvue de toute personnalité, va vite
offusquer les féministes et bien-pensants de tous bords :
« I took you home and dressed you up in
polyester
Princess of my dreams
Emotionless and cold as ice
All of the things I like »
Les esprits mal tournés y verront bien entendu une
idéalisation abjecte de la femme-objet, là où il n'y a que fun et humour. Le
clip, réalisé par Ellen Von Unwerth, attisera la controverse mais gagnera
l'adhésion des esthètes. Cette création artistique totale présente une femme-robot
acquise par les trois Duran Duran lors d'une transaction avec un chauve
libidineux et emportée dans un emballage en papier cristal. Chez eux, les
membres la relookent en soubrette sexy et docile qui semble tirer de la
situation un plaisir érotique. Mais soudain, la créature sexy se dérègle et se
mue en tornade incontrôlable qui balaye tout sur son passage. La cyborg s'est
transformée en vraie femme... les problèmes peuvent commencer pour nos trois fétichistes
impudents.
Depuis "The Wild Boys", le groupe n'avait pas
produit un clip aussi marquant et esthétiquement débridé. Les Duran ont
retrouvé leur mordant.
Mais le rose bonbon arty de "Electric Barbarella"
ne fera pas d'étincelles dans les charts. Trop osé, trop dérangeant, trop beau,
le clip est immédiatement conspué par les bigots de la censure. Au Canada, les
deux chaînes de télévision musicales - MusiquePlus (en langue française) et son
homologue anglaise MuchMusic - refusent de le diffuser sous prétexte qu'il
dépasserait les limites du bon goût. Capitol Records rétorquera, par la voix de
son PDG Lou Mann, que la vidéo est à prendre au deuxième degré et que 80% des
gens appellent pour demander sa diffusion sur les chaînes.
La journaliste new yorkaise Elizabeth Bougerol cuisinera
Simon Le Bon sur le sujet devenu sensible. A la question : « Si une femme dirige une vidéo misogyne,
est-ce que cela rend l'objet moins misogyne ? », voici la réplique du chanteur :
« Pensez-vous
que notre vidéo est misogyne ? Je ne pense pas. C'est juste de l'humour. Il n'y
a aucun aversion pour les femmes ou quoi que ce soit de cet ordre. Je pense
que c'est sexiste, sûrement. On a reçu ce fax nous informant que MuchMusic
avait un problème avec le clip. Ils ont suggéré que la fin de la vidéo pourrait
peut-être être remaniée, que la fille pourrait transformer les garçons en
robots et ainsi accéder à une forme de pouvoir. On s'est dit : "Très bien.
Qu'ils aillent se faire voir !" »
Pugnace, la journaliste prend Le Bon au mot : « Soit. Alors, si une femme dirige une vidéo
sexiste, est-ce que cela rend l'objet moins sexiste ? »
Simon, désarçonné :
« Vous
êtes une petite effrontée, n'est-ce pas ? J'aime ça, vraiment. Je ne pense pas
que ça le rende moins sexiste. On garde le contrôle à la fin : elle termine
habillée en jupe courte et en jarretelles [...] Et puis après tout, si c'est
politiquement incorrect, tant mieux ! »
Quoi qu'il en soit, le clip a le mérite de l'audace et offre
l'occasion au jeune mannequin Myka Dunkle de crever l'écran. A dix-sept ans, c'est
elle qui incarne la poupée blonde bionique qui ensorcèle trois hommes à la
fois, pris au piège de sa beauté plastique et de sa sensualité électrique. Cet
animal indomptable évoque, quarante ans après, une Bardot moderne dans un
remake de Et Dieu créa la femme,
version clip d'anticipation. En 1956, Roger Vadim (réalisateur de Barbarella, film d'où les Duran ont tiré
leur nom...) avait bien conçu - sous les traits de Brigitte Bardot -, le
prototype de cette "Electric Barbarella", mélange d'innocence et de
sexualité.
La photographe Ellen Von Unwerth, dont l’œuvre teintée de
philosophie féminine dans le boudoir a marqué l'histoire de la mode, était
toute désignée pour réaliser ce clip. L'objet reste aujourd'hui, sans conteste,
l'une des vidéos les plus réussies de Duran Duran. John Taylor, pourtant retiré
des affaires du groupe, qualifiera "Electric Barbarella" de clip de
l'année 1997. Mais malgré son potentiel tubesque et une programmation sans
incidents sur les chaînes MTV et VH1, le single subira la frigidité mentale
générale - en pleine Spice Girls mania ! Medazzaland,
porteur du virus "Electric Barbarella", sera mis en quarantaine,
logiquement.
Extrait de Duran Duran : Les Pop Modernes (Fayard, 2012)